Appel à communications

Au chevet du travail.

Les enjeux de la santé au travail

 

Coorganisé par le Laboratoire de sociologie TETRAS – Territoire, Travail, Âge et Santé – de l’Université de Lorraine (anciennement 2L2S-Nancy) et par la Société d’Émulation des Vosges (SEV), le Festival International de Sociologie (FISO), après s’être intéressé aux figures de l’engagement, à la fabrication des corps au XXIe siècle, à l’éducation et aux villes petites et moyennes[1], se centrera pour sa cinquième édition sur la question de la santé au travail.

L’amiante, les cancers d’origine professionnelle, la pénibilité du travail, les suicides au travail, les troubles musculosquelettiques, les risques psychosociaux, l’épuisement au travail, etc. autant de sujets érigés en problèmes publics, pour ne prendre que les plus médiatisés, qui révèlent les enjeux majeurs de la santé au travail. Le résultat des nombreuses recherches épidémiologiques, ergonomiques, psychologiques, gestionnaires, économiques et sociologiques… est sans appel : les conditions et la santé au travail se dégraderaient sous l’effet des mutations de l’organisation du travail, des formes contemporaines de management, de la plateformisation, de la flexibilité, de l’intensification du travail, de la précarisation de l’emploi et de l’insécurité sociale. Le travail serait aujourd’hui malade au point que l’on pourrait reproduire le constat établi par Georges Friedmann suite à ses observations faites dans les ateliers, les chantiers, les mines et les bureaux des années 1950 et 1960 : la joie au travail est un « oiseau rare » (Friedmann, 1956).

Le travail serait renvoyé à son étymologie controversée de tripalium[2], cet instrument de torture composé de trois pieux, assimilant travail et souffrance. La question de « la souffrance au travail » qui occupe le devant de la scène des débats sociaux à la fin du XX° siècle n’est pas sans rappeler les problèmes croissants de la neurasthénie et de la fatigue qui se posaient à la fin du XIX° siècle. À cette époque, les sciences émergentes du travail, par l’intermédiaire de ses médecins, hygiénistes et physiologistes, célèbrent la puissance énergétique du travail humain mais découvrent dans le même temps son envers : la fatigue. Par la suite, les sciences établies du travail à la fin du XX° siècle, par l’intermédiaire de ses sociologues, psychologues et économistes, (ré)affirment la centralité du travail et des fonctions qu’il remplit mais donnent à voir dans le même temps l’expression de la crise qu’il traverse : la souffrance. Aussi dans ces premières décennies du XXI° siècle, les chercheurs et les chercheuses comme les acteurs et les actrices de la santé au travail sont-ils·elles elles au chevet de ce dernier.

La cinquième édition du FISO est l’occasion de présenter les recherches sur la santé au travail qui fait l’objet d’une production foisonnante en sciences sociales (Bouffartigue, 2014), de revenir sur sa construction à la fois comme objet scientifique, comme catégorie de pensée et comme problème public (axe 1). Elle invite aussi à interroger le traitement social et l’organisation du système de santé au travail en mettant la focale sur ses professionnel·les (axe 2). Elle propose également de réinterroger le rapport entre les conditions de travail et la santé à partir d’enquêtes monographiques, sectorielles, professionnelles, territoriales (axe 3), et de saisir les inégalités face à la santé au travail au prisme des dimensions de classe, de genre, d’âge, de race, etc. (axe 4).

Nous attendons donc des communications dans les quatre axes ci-dessous définis tout en restant ouvert·es aux propositions qui n’entreraient pas dans un de ces axes. Les travaux portant sur des terrains non français et les analyses comparatives internationales seront les bienvenus.

 

Axe 1 – La santé au travail comme objet scientifique et problème public

Si la santé au travail est aujourd’hui une thématique largement investie par le monde académique, sur laquelle s’est constitué notamment le Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (GIS Gestes)[3], créé en 2011, qui réunit plus de 60 équipes de recherche, elle « est longtemps restée dans l’ombre, oubliée des travaux historiques qui mettaient en scène une histoire héroïque des luttes sociales et ignoraient presque tout du milieu de travail, des conditions concrètes de travail dans l’atelier, le bureau, la boutique ou le chantier » (Omnès, 2012, p. 709). Elle n’apparaît dans les travaux de la sociologie du travail française naissante qu’en filigrane, le traité de Georges Friedmann et de Pierre Naville (1961-1962) ne lui consacre pas de chapitre à part entière. Elle est pourtant au cœur du projet de Sécurité sociale née après la Seconde Guerre mondiale comme en témoignent la naissance de la médecine du travail avec la promulgation de la loi portant « organisation des services médicaux » en 1946 et la création de l’Institut national de la recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS) en 1947.

Soulevée comme enjeu majeur dès les années d’après-guerre, la santé au travail n’est institutionnalisée que tardivement, les premières connaissances produites portant essentiellement sur les conséquences les plus frappantes des conditions de travail : les accidents et les maladies professionnelles (Gollac & Volkoff, 2000). Sa construction comme problème public s’origine dans des travaux pionniers qui portent sur les risques chroniques induits par des poussières (silice, amiante), des substances toxiques (plomb, mercure, cuivre) ou radioactives. Mais c’est seulement à partir des années 1980 et surtout dans les décennies qui suivent que des chercheurs et des chercheuses vont participer à l’élargissement et au renouvellement du champ de la santé au travail, en investissant d’autres objets et en s’outillant d’autres catégories de pensée : « l’usure au travail » (Cottereau, 1983), « la souffrance au travail » (Dejours, 1980, 1998), « l’inaptitude au travail » (Omnès & Bruno, 2004) ou encore plus récemment « les risques psychosociaux » (Gollac & Bodier, 2011).

Ces quelques exemples de travaux montrent le lent processus d’institutionnalisation d’un champ à interroger, qui s’est doté d’un système d’enquêtes et de mesures performant, qui a charrié des notions et catégories de pensée plurielles, qui a généré des approches et interprétations différentes, qui a produit des controverses scientifiques, etc.

Comment la santé au travail a-t-elle été construite comme objet scientifique ? Comment est-elle devenue une véritable question sociale, érigée en problème public, élevée même en 2022 par l’Organisation internationale du travail (OIT) au rang de « droit fondamental » pour les travailleurs et les travailleuses du monde ? En a-t-on pour autant fini avec certaines approches hygiénistes qui considéraient surtout la santé au travail comme un moyen de s’assurer de la productivité ? Malgré les apports riches de nombreuses disciplines, la santé au travail n’est-elle pas encore aujourd’hui, dans certaines approches psychiatriques pouvant être relayées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), arrimée à une perspective productiviste ? Comment les enjeux du travail, de sa qualité, de son sens… sont-ils pris en compte par les pouvoirs publics, enjeux « placés sous le miroir grossissant de la crise sanitaire, elle-même enchâssée dans une série d’autres crises, du travail, de l’emploi mais aussi écologique et sociale, en cours depuis plusieurs décennies »[4] ?

 

Axe 2 – Les acteurs/actrices et travailleurs/travailleuses de la santé au travail

Le système de santé au travail français a été construit par strates successives, amorcé à la fin du XIX° siècle par un mouvement législatif de protection sociale autour de la question de la durée légale du travail. La loi du 12 juin 1893 concernant l’hygiène et la sécurité des travailleurs est considérée comme l’ancêtre de toute la législation relative à la sécurité dans l’entreprise et introduit un devoir général de prévention à la charge de l’employeur (Léoni, 2017). Elle appelle le recrutement d’un véritable corps de fonctionnaires constituant l’inspection du travail créée une année plus tôt (Viet, 1994). Ce n’est que 50 ans plus tard qu’un autre acteur institutionnel central fait son apparition dans la prévention des atteintes professionnelles à la santé – le médecin du travail – qui, s’il fait figure d’interlocuteur de poids face aux directions d’entreprise (Frimat, 2010), ne devra pas moins lutter pour « son indépendance médicale » au risque de n’être qu’un « médecin du patron » (Marichalar, 2014). Le système de santé au travail est marqué du sceau d’une production législative conséquente, de l’adoption de plans de santé au travail successifs, de la mise en place d’institutions nouvelles, il est aussi le résultat des luttes juridictionnelles que conduiront les acteurs et actrices de la santé au travail.

L’institutionnalisation de la santé au travail s’est d’ailleurs accompagnée de la montée en puissance de nouvelles activités et expertises en matière de prévention et d’une professionnalisation de ses acteurs et actrices. Ainsi, aux côtés des figures historiques traditionnelles des médecins et inspecteurs du travail, de nouveaux professionnel·les apparaissent dans les services de médecine du travail rebaptisés « services de santé au travail » en 2004, puis « services de santé et de prévention au travail » en 2021.

D’autres figures et organisations apparaissent à la fin du XX° siècle, non plus pour prévenir les dangers et assurer la sécurité au travail, mais pour améliorer et promouvoir les formes de travail conçues pour être davantage respectueuses des humains. Par exemple, est créée en 1973, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) et ses déclinaisons territoriales avec les ARACT. Parallèlement, une myriade de nouvelles structures (cabinets de conseil, d’études) se greffent aussi à cette nouvelle prise en compte de la santé pour concevoir des formes d’organisation plus « performantes » dans ce domaine.

Que recouvrent cette structuration et cette institutionnalisation du champ de la santé au travail ? Que disent-elles de la « modernisation » de l’organisation de la santé au travail impulsée par l’État ? Comment les acteurs institutionnels et les professionnel·les se divisent le travail d’enquête, d’expertise, de prévention et de recommandation ? Comment coopèrent-ils·elles, interfèrent·ils·elles, travaillent-ils·elles ensemble ? Ou a contrario, quelles sont les difficultés, les pierres d’achoppement, les luttes de territoire… qui pourraient empêcher le travail de prévention, de conseil et de veille sanitaire ?

Cet axe 2 invite à se focaliser sur les acteurs et actrices de la santé au travail, d’interroger leurs rôles et leurs missions, d’analyser le travail concret qu’ils·elles réalisent, de passer aussi au crible les outils de gestion qu’ils·elles mobilisent (référentiels, qualité de vie au travail, grilles de positionnement en santé et sécurité au travail…) et d’étudier leur position et prise de position par rapport au management de la santé et sécurité au travail dans lequel ils·elles doivent inscrire leurs interventions (Drais, 2018). Ce sont aussi bien les « ressources » internes  de l’organisation (les médecins du travail, les employeur·euses, les salarié·es et représentant·es du personnel, l’encadrement, les services ressources humaines, les chargé·es de prévention…) qu’externes (les services prévention des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail, le réseau régional de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, les comités régionaux de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, les intervenant·es en prévention des risques professionnels indépendants, les organismes agréés…) qui pourront faire l’objet d’un examen.

 

Axe 3 – Conditions de travail et santé au travail

Le rapport entre la santé et le travail est aujourd’hui bien documenté, appréhendé par des approches disciplinaires différentes : en sociologie (Bouffartigue, Pendariès & Bouteiller, 2010 ; Bouffartigue, 2014 ; Bercot, 2014), en psychologie (Lhuilier & Litim, 2009) ou encore en économie (Le Clainche, 2016).

D’une part, en France, ce lien est renseigné quantitativement par l’enquête sur les conditions de travail (produite par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du Ministère du travail et par la Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du Ministère de la santé) et l’enquête SUMER (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) produite par la DARES en lien avec la médecine du travail (Synthèse - stat tirée de l’enquête Sumer, 2021 ; Desprat, 2019 ; Drees, Dares, 2019[5]).

D’autre part, les connaissances scientifiques dans ce domaine sont enrichies par des enquêtes qualitatives. Nombreuses sont celles dont l’attention a porté sur les « risques psychosociaux » qui peuvent être considérés comme emblématiques de la (re)construction d’un problème « conditions de travail » dans le contexte du début du XXI° siècle (Ughetto, 2011). La prise en compte de ces risques pour la santé engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental (Gollac, Bodier, 2011) ne doit pas occulter les contraintes physiques liées au nouveau productivisme qui a présidé à la réorganisation des entreprises et à la désorganisation du travail (Askenazy, 2004). Pour exemple, les troubles musculo-squelettiques constituent encore la première cause de maladies professionnelles indemnisées puisqu’ils représentent 88 % de l’ensemble des 50 000 maladies professionnelles reconnues en 2018 (Synthèse - stat, 2021). Le travail, lorsqu’il cumule contraintes physiques et mentales, ne peut plus fonctionner comme un opérateur de santé, il nuit à cette dernière. La problématique santé-travail est alors renvoyée, le plus souvent unilatéralement, aux déclinaisons de l’altération, la dégradation, la fragilisation de la santé par le travail, laissant dans l’ombre le rôle déterminant du travail dans le développement de la santé (Lhuilier & Litim, 2009).

Dans quelles conditions, le travail peut-il être constructeur de santé ? Quelles sont les « bonnes » conditions de travail qui contribuent à construire, préserver et développer la santé (Bouffartigue, Pendariès & Bouteiller, 2010) ? Quels sont, a contrario, les facteurs de la dégradation des conditions de travail qui altèrent la santé ? Qu’est-ce qui fait du travail « une expérience à vivre » (Schwartz, 1988) ? À l’extrême opposé, qu’est-ce qui fait qu’il continue de tuer ? Ou qu’est-ce qu’il fait aux acteurs et aux actrices quand il manque, quand ils et elles en sont privé·es (le chômage) ou quand ils et elles tentent de s’y maintenir (en situation de handicap par exemple) ou qu’ils et elles essaient d’y revenir (après un arrêt longue maladie par exemple) ?

Outre le système d’enquêtes dont on dispose en France pour évaluer les conditions de travail, sont réalisées de nombreuses recherches monographiques, sectorielles, professionnelles… qui permettent d’en brosser un portrait sous leurs divers aspects, qu’ils soient matériels (contraintes physiques, moyens de travail, conditions sanitaires, exposition à des substances dangereuses, etc.), organisationnels (organisation du temps de travail, rythme de travail, autonomie et marge de manœuvre, etc.) et psychosociaux (relations avec les client·es, la hiérarchie et les collègues, conflits de valeurs, satisfaction et difficultés au travail, etc.). Ce sont les résultats de ces recherches que l’axe 3 souhaite accueillir, qu’elles reposent sur des modèles spécifiques et partiels et utilisent des outils formalisés à visée quantitative, qu’elles se réfèrent à des disciplines centrées sur l’analyse du travail associée à l’expérience vécue des salarié·es et mobilisent des méthodologies qualitatives ou qu’elles combinent méthodes quantitatives et qualitatives. Ils permettront, entre autres, de discuter la catégorie des risques psychosociaux qui a mis en branle tout un travail de mesure, de diagnostic et de suivi au point de voir se structurer un marché du « risque psychosocial » (Clot, 2010), de revenir aussi, sans sacrifier à une approche strictement causaliste, à ses principaux facteurs : ceux liés aux exigences du travail, à la nature des tâches ou à l’organisation du travail ; ceux liés aux exigences des salarié·es vis-à-vis de leur travail ; ceux liés aux relations de travail ; ceux liés au vécu difficile des changements.

Quels sont les troubles modernes du travail ? Quelles sont les conséquences des formes contemporaines de l’enrôlement des corps au travail (Jacquot & Voléry, 2019), mais aussi du régime de désirs et d’affects du capitalisme néolibéral qui cherche à produire la joie intransitive de l’engagement dans le travail (Lordon, 2003) ? À quels risques psychosociaux les salarié·es sont-ils·elles confronté·es ? Quels sont les porteurs de responsabilité du stress, des risques psychosociaux, des tensions au travail ? Peut-on dégager des pénibilités et contraintes sectorielles récurrentes ? Comment les milieux professionnels verbalisent-ils leur souffrance et comment tentent-ils d’y répondre ? Quelles sont les ressources et stratégies de défense des travailleurs et travailleuses, qu’ils·elles soient cadres, ouvrier·ères ou employé·es, qu’ils exercent leur activité dans le secteur privé, le secteur public ou le secteur associatif, qu’ils·elles travaillent dans une grande entreprise, une PME ou une TPE ? Et au-delà des spécificités observées, n’est-ce pas le travail qui est touché sur les trois registres du faire, de l’avoir et de l’être pour une grande majorité de travailleurs et travailleuses : « une activité dévalorisée, non reconnue ou qui perd son sens ; des rétributions qui ne sont pas ou plus à la hauteur des contributions attendues ; une vulnérabilité identitaire qui provoque un manque à être (…) » (Gaulejac, 2011, p. 27) ?

 

Axe 4 – Inégalités de santé au travail

Les inégalités de santé au travail sont fortes et elles prennent des colorations différentes selon les emplois occupés, selon les secteurs d’activité, selon le type d’activité professionnelle exercée, selon que l’on se trouve en situation d’emploi ou au chômage, selon que l’on est en situation de handicap ou non… L’axe 4 souhaite recevoir une multiplicité de travaux de recherche sur ces questions. Une question transversale pourrait guider la réflexion : comment les rapports sociaux de classe, de genre, d’âge, de race, etc. imprègnent les inégalités de santé au travail, aussi bien de celles et ceux qui disposent d’un travail que de celles et ceux qui en sont privé·es ?

Les femmes et les hommes au travail ne semblent pas être confronté·es aux mêmes conditions d’exercice du travail. Autrement dit, les femmes et les hommes ne semblent pas être amené·es à vivre le même type d’inégalités au travail. Les approches féministes matérialistes ont démontré les processus de séparation et de hiérarchisation du travail. Le concept de « division sexuelle du travail » (Kergoat, 2000) rend bien compte de l’assignation des femmes au travail reproductif et des hommes au travail productif. Les femmes ont tendance à se trouver dans une position dominée au travail, et ce qui se joue en dehors du travail salarié, en termes de travail domestique non reconnu produit des effets sur la santé au travail des femmes (Bercot, 2014). Les femmes portent davantage que les hommes l’empreinte des exigences, tant physiques qu’émotionnelles au travail (Hoschchild, 2017) et leur santé semble marquée du sceau de la honte corporelle (Messing, 2016, 2022). La « sur-fatigue » (Mathieu, 1985) des femmes dans le travail domestique et dans le travail salarié s’ancre dans les conditions matérielles d’existence et d’exercice du travail et affecte sans doute leur santé. Les maladies chroniques (Lhuilier, Waser, 2016) considérées comme extraprofessionnelles, comme la dépression ou l’endométriose (Romerio, 2020), certaines maladies professionnelles comme le cancer (Thébaud-Mony, 1991, 2007), touchent différemment les femmes et les hommes, mais toutes produisent des effets sur la santé au travail des travailleuses et des travailleurs. Par ailleurs, les hommes n’échappent pas aux stéréotypes de genre, notamment les hommes des classes populaires ou les hommes migrants, souvent déclassés exerçant dans des secteurs d’activité genrés comme la livraison plateformisée, générant des problèmes de santé idoines (Bernard, 2023).

La santé au travail est traversée par des rapports de classe, de genre et de race. Les migrant·es, souvent précarisé·es, déclassé·es et exploité·es (Schmoll, Weber, 2021), notamment les travailleuses du care (Hirata, 2021 ; Molinier, 2013) voient leur santé altérée. Les inégalités de classe sont pointées dans les travaux épidémiologiques. Les troubles musculosquelettiques et les lombalgies touchent davantage les ouvriers que les cadres (Leclerc et alii, 2010). Les expériences du chômage et la précarité marquent elles aussi la santé au travail et en dehors du travail (Desprat, 2019 ; Roupnel-Fuentes, 2021 ; Meneton et alii, 2017). Qu’en est-il des femmes et hommes en situation de handicap (Jaffrès, Guével, 2017) ou souffrant de problèmes de santé liés au travail ? De quelles façons ces expériences affectent-elles les modalités de maintien dans l’emploi et le rapport au travail ? De quelle façon le rapport social d’âge marque-t-il la santé au travail ? Comment la crise sanitaire liée au Covid 19 a-t-elle exacerbé les inégalités affectant les conditions de vie, de travail et de santé des jeunes ? Sur le spectre opposé des parcours d’âge, les personnes âgées, elles aussi semblent confrontées aux inégalités de santé. L’axe 4 souhaite interroger la définition objective et subjective de la santé au travail des jeunes, et documenter les disparités entre les jeunes et selon le parcours d’âge. Quelles sont les spécificités de la santé des jeunes au travail ?

Plus globalement, sont attendues des contributions qui interrogent les différentes stratégies de défense et les ressources des travailleurs et travailleuses pour peser sur le travail et la santé au travail. Quelles formes prennent-elles ? Quelles sont les différentes luttes qui émergent ? En termes de travail émotionnel (Soares, 2022), en termes de lutte pour la reconnaissance via des mobilisations collectives (contre le harcèlement moral, sexiste et sexuel au travail), pour la reconnaissance d’une maladie extraprofessionnelle comme l’endométriose, etc. ?

 

Bibliographie

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[1] La première édition en octobre 2015 a porté sur Les figures de l’engagement. L’engagement en temps de crise. Cf. http://festival.sociologie.event.univ-lorraine.fr/socio_accueil.php ; la deuxième édition en octobre 2017 sur La fabrication des corps au XXIe siècle. Éduquer, soigner, augmenter, identifier. Cf. https://fiso2017.event.univ-lorraine.fr/; la troisième édition en octobre 2019 sur L’éducation dans et hors la classe : structures, acteurs et pratiques Cf. https://2l2s.univ-lorraine.fr/manifestations-scientifiques/festival/fiso-2019-leducation-dans-et-hors-la-classe-structures-acteurs ; la quatrième édition en octobre 2022 sur les villes petites et moyennes : À l’ombre des métropoles : habiter, travailler, gouverner, innover… Cf. https://fiso2022.event.univ-lorraine.fr/

[2] Marie-Anne Dujarier fait état dans son dernier ouvrage de recherches qui montreraient que l’étymologie n’est pas tripalium. Elle serait plutôt trabs, « un outil banal du maréchal-ferrant » pour immobiliser l’animal à ferrer et trans, issu du latin, qui renvoie à l’idée d’obstacle à franchir (Dujarier, 2021, p. 65).

[3] Anciennement DIM Gestes de la région Ile-de-France, entre 2012 et 2015 : Domaine d’intérêt majeur Groupe de recherche sur le travail et la souffrance au travail.

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